Une aventure trinitaire 'bleue'...


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Trois questions m'ont été posées pour témoigner lors de la rencontre des consacrés du diocèse de Nanterre pour la fête du 2 février:

Quel est ton cheminement? Quel est le charisme de ta congrégation? Que fais-tu dans ton quartier?

Je vais faire la mauvaise élève, je ne vais pas directement répondre aux questions. J'ai choisi de vous raconter une aventure... une aventure trinitaire 'bleue'.

 

Les personnages :

Lui, le Christ

Nous, les sœurs de ND l’Immaculée Conception dites sœurs bleues de Castres

Eux, les personnes auxquelles je suis envoyée c'est-à-dire les mères et les enfants du centre maternel.
Et je vais commencer par ‘eux’, les femmes et les enfants du centre maternel

 
‘Eux’ : Des femmes. 

Certaines viennent du Congo, de la Côte d’Ivoire, de Madagascar, du Sénégal… D’autres sont nées en France. Elles ont connu l’exil, les foyers de l’ASE, l’errance, la rue, les foyers d’urgence. Elles ont été victimes de maltraitance, d’abus sexuel, de violences physiques de tout genre, d’abus de confiance. Elles ont été exploitées, elles ont fait le mulet, elles ont connu la prostitution, elles ont été mariées de force, elles ont connu la violence intra-familiale, l’alcoolisme, la drogue… elles ont en moyenne entre 19 et 24 ans…
Leur point commun : elles sont enceintes ou ont un enfant de moins de 3 ans. La plupart ne sont pas isolées mais leur entourage ne peut être un soutien fiable ni bienveillant pour elle et leur enfant.L’annonce de la grossesse est pour elles un séisme. La majorité a pensé à l’avortement mais…pour des questions religieuses ou d’éthique personnelle, pour des raisons médicales (risque de stérilité à cause de la multiplication des ivg, délais de l’ivg dépassé), par pression familiale, elles ont ‘choisi’ de garder ce bébé. Quelques-unes ont choisi bébé plutôt que leur compagnon ou leur famille : choix douloureux, crucifiant mais choix d’une vie, celle de leur bébé. 
Que vous dire de ces femmes meurtries par la vie, blessées dans leur confiance, violées dans leur intimité, cassées psychiquement alors que pas encore femme ? 
Des femmes qui ont un désir de vivre inouï, qui se battent pour retrouver une dignité, un peu d’amour pour elle-même, qui se débattent comme elles le peuvent, avec leurs carences affectives et leur désir d’aimer, pour ‘aimer’ leur bébé.

‘Eux’ : Des bébés. 

Dès le ventre maternel, ils sont porteurs d’un lourd fardeau : être responsable des malheurs de leur mère : rupture conjugale, rupture familiale, découverte du HIV, perte de leur formation, perte de leur hébergement…
Ils sont le visage du viol des militaires dans une prison, de la promesse déçue d’un amour idéalisé auquel elles se sont accroché  et qui s’évapore, de la violence d’un mari, d’un désir de prouver qu’elle existe à sa propre mère, du moyen d’avoir des papiers français,  d’une relation sans lendemain... Ces bébés remettent brutalement à vif  les angoisses de leurs mères, leur solitude, leur blessure dans leur relation avec leur propre mère. 
Ils vont devoir s’ajuster à des  mères démunies psychiquement et affectivement, dont les besoins sont trop importants pour donner la priorité à bébé, qui sont dépassées par ce qui leur arrive : devenir mère.
Quand il va pleurer de faim, que va-t-il se passer ? Maman va-t-elle venir avec un biberon ou va-t-elle s’énerver et mettre la musique plus forte ? Quand maman s’approche du berceau, est-ce pour le prendre dans ses bras comme on joue à la poupée, lui donner un biberon même si il n’a pas faim,  lui crier dessus car  il la regarde ? 

 
‘Nous’, les sœurs bleues de Castres

 Des femmes consacrées. Des femmes qui cherchent à marcher  à la suite de Jésus Sauveur. Des femmes qui désirent vivre la centralité du ‘Dieu Seul’, devise d’Emilie de Villeneuve, fondatrice.  Des femmes chercheuses de Dieu, des missionnaires de l’amour divin dans le quotidien de leur vie. 
‘Nous’ qui m’envoit en mission comme infirmière-puéricultrice auprès de ces femmes et de ces enfants du centre maternel. 
‘Nous’ avec nos oreilles, nos yeux, nos mains… 

Nos oreilles, nos yeux, nos mains avec lesquelles j’écoute… J’écoute le corps de ces femmes enceintes, corps meurtri, violé, maltraité, malmené par autrui et par elle-même, corps malade (« mon corps porte la mort » me dit Nicole, une maman séropositive), corps douloureux ( « j’ai l’impression d’avoir des vers dans mon ventre » me confie Stella, une jeune femme enceinte). J’écoute ce corps dont elles ne prennent plus soin depuis longtemps, ce corps qu’elles n’aiment pas, qui les encombrent, qui ne les fait souffrir que davantage, ce corps douloureux signe d’une autre douleur, plus profonde.J’écoute ce corps qui, pour moi, est merveille de la création de Dieu, porteur d’un trésor : la Vie.« C’est la première fois que l’on s’occupe de moi comme cela » s’exclame Kim que je passe voir tous les jours. 
J’écoute les pleurs ou les non pleurs de ses nouveaux nés dont le poids de la vie est déjà bien lourd pour leurs petites épaules. J’écoute le regard vide de ce bébé de 1 mois qui regarde sa mère. J’coute ce nouveau-né qui se raidit dans les bras de sa mère, qui regarde à l’opposé du visage maternel, qui rejette le sein en hurlant, qui ne se laisse pas  aller dans le sommeil, qui reste tendu dans le bain, qui pleure lors d’un massage, qui reste inconsolable …J’écoute ces petits êtres, ces ‘in-fans’ qui crient la douleur profonde de leur mère.

Nos oreilles, nos yeux, nos mains avec lesquels je m’émerveille…Je m’émerveille devant Myrah qui, dès la sortie de maternité, appelle sa maman du regard avec des yeux grands ouverts, moment inattendu pour elle.Je m’émerveille en observant le désir d’Ibrahim de se blottir dans les bras de sa maman, situation étrange et a-émotionnelle pour elle. Je m’émerveille en voyant Talip se détendre dans le bain que sa maman lui donne, fierté pour elle car elle peut apporter quelque chose de bon à son bébé.
Je m’émerveille devant la maman de Loumia qui, enfin, trouve le courage de la laisser dormir tranquillement pendant 20mn dans son berceau. Je m’émerveille quand la maman de Tiana la pose sur le tapis et qui, pour la 1ère fois, reste là à la regarder. Je m’émerveille lorsque la maman d’Ilana, en l’entendant pleurer, comprend qu’elle a faim et lui prépare rapidement son biberon sans se laisser dissiper par autre chose. 
Ces émerveillements, je les partage avec bébé et sa maman. Accordage délicat entre 2 êtres. Lien fragile entre une mère et son bébé. Mystère de la vie, mystère de l’amour….

 

Lui, le Christ

 A travers nos oreilles, nos yeux, nos mains, c’est le Christ qui est présent. 
Je ne fais rien d’extraordinaire, je ne parle pas de Dieu. Je travaille animée du désir de vivre et de partager l’amour que Dieu donne gratuitement à chacun, et plus particulièrement à ces femmes et ces enfants du centre maternel où je suis envoyée en mission par ma congrégation.
La manière dont mes oreilles entendent, mes yeux voient, mes mains font est invisible par les femmes et les enfants que j’accompagne. Et pourtant, je crois que c’est là que se manifeste la grandeur de l’amour de Dieu pour eux.
Les textes de la Bible sont devenus vivants, pas seulement l’histoire d’un peuple au passé mais l’histoire d’hommes et de femmes qui s’écrit au présent. Chants de joie et d’action de grâce pour les merveilles de Dieu, cris de souffrance et de douleur qui accablent les hommes, paroles d’espérance qui animent de cœur de l’homme. C’est la vie de ceux que je rencontre qui se dit, qui se donne, qui s’abandonne à travers ces versets que nous prions tous les jours.
Ce bébé, leur bébé, chacune l’aime avec ce qu’elle est, avec ce qu’elle peut lui donner d’amour. Cela aussi est pour moi Parole vivante de Dieu. 

C’est une aventure trinitaire « bleue » qui s’écrit depuis 9 ans au centre maternel…

Ce que j’expérimente aux fils de jours, c’est que sans ‘nous’, ma communauté, ni ‘Lui’, le Christ, je ne percevrais pas ces minuscules étincelles de vie qui illuminent le visage de ces enfants et ces femmes. C’est une aventure de rencontre, une aventure de communion, une aventure d’amour…
… où chaque jour, une étincelle de vie jaillit !! 

Catherine 1er-02-2013

alleaumecatherine@gmail.com