Noël 2016 : Témoignage de Soeur Catherine

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Décembre 2016

 

 

 

 

 

Chers amis et chères sœurs,

 

 

 

Le passage à une nouvelle année est le moment favorable pour regarder l’année qui se termine… Regarder pour recueillir le vécu, les évènements et les graver dans notre cœur comme un cadeau précieux.

 

 

Mon année 2016 a été teintée par ma découverte de l’univers de la pouponnière, établissement qui accueille les enfants dits ‘en danger’. Les ‘ordonnances provisoires de placement’ sont des décisions judiciaires prises lorsque les enfants sont jugés en danger auprès de leurs parents. Les placements ont une durée minimale de 6 mois et peuvent se prolonger pendant plusieurs années. La pouponnière accueille les enfants de moins de 3 ans.

 

J’ai été frappée de découvrir que la majorité des enfants accueillis le sont au cours de leurs 1ers mois de vie. L’histoire de chacun est singulière et les causes d’un placement sont multiples. Quelles qu’elles soient, la séparation de l’enfant d’avec son/ses parents est, lui aussi, un traumatisme pour l’enfant et pour son parent. A son arrivée à la pouponnière, l’enfant a besoin de temps pour se poser, pour oser vivre ses émotions et être lui-même sans peur de la violence, des cris ou des menaces. Lors des visites médiatisées ou accompagnées, j’ai été frappée de voir un certain nombre d’enfants qui restaient figés devant leurs parents alors que dans leur unité de vie, ils étaient pleins de vie. Pour moi, il est toujours aussi dur de voir un enfant exprimer sa souffrance en silence : fuir le regard, rester immobile et muet, refuser la nourriture, se cambrer dans les bras. Parfois aussi, ce sont des pleurs inconsolables.

 

Que de regards de détresse croisés lors de ces temps de visite,  temps de visite auxquels le parent a droit quelque soit l’état et le désir de son enfant. J’ai été témoin, pour d’autres, après le temps des retrouvailles souvent long, la joie de l’enfant d’être avec son parent pour partager un moment ensemble dans un cadre sécurisant et sous le regard des professionnels. Il est beau de pouvoir glaner un sourire, un regard complice, un rire joyeux au cours d’une heure ou une heure et demi de visite. Ce sont des petits moments précieux pour l’enfant et pour son parent au milieu de leur histoire traumatique. Cette année passée à la pouponnière fut une expérience riche et j’ai été contente de découvrir ce qui s’y vivait. Mais, ce poste ne correspondait pas à ce que je désire vivre dans mon métier à savoir l’accompagnement de la relation parents/enfant. Ce n’est pas le rôle de la pouponnière. Bon… ce n’est pas ce que je m’imaginais en acceptant le poste. Et lorsque j’ai commencé à regarder un peu les postes vacants pour une puéricultrice autre qu’une direction de crèche, ce qui se fait rare, j’ai vu une annonce pour intégrer l’équipe d’un CAMSP (centre  d’action médico-sociale précoce). C’est un lieu de consultations et de suivi des enfants très grands prématurés, c'est-à-dire nés à moins de 30 semaines, et, de rééducation et de suivi des enfants porteurs d’un handicap. Je découvre! Rien à voir avec le centre maternel ou la pouponnière!  J’ai quitté les structures de la protection de l’enfance pour intégrer une structure de médico-sociale. Le regard et la perspective sont différents. J’apprends à observer et à accompagner autrement la relation mère/bébé. Non dans une perspective de soutien des 1ers liens lié à une difficulté maternelle mais dans la perspective de soutien de la relation et du quotidien parents/enfant lié à la grande prématurité ou au handicap.  Je découvre et j’accompagne d’autres détresses, d’autres souffrances. Je découvre des histoires de grossesses difficiles (FIV, don de gamètes…) et tout ce que cela engendre d’angoisse, de doute mais aussi d’atteinte de l’image de soi dans sa capacité à être fécond.  Je découvre les histoires de grossesses où tout bascule sans que rien ne l’ai laissé prévoir. A 25 ou 28 semaines, les contractions se déclenchent sans raison, une hypertension maternelle apparait, une infection survient et tout bascule. L’enfant nait tôt, trop tôt. Et c’est tout le parcours de la réanimation néo­-natale puis de la néonatologie. Des mois, de longs mois entre le domicile et l’hôpital avec tout ce que cela comporte d’angoisse, de questions, d’incompréhension, d’incertitudes, de fatigue et pour certains, d’accompagnement d’un enfant jusqu’à la mort.

 

 

 Je découvre aussi l’annonce d’un handicap, d’une atteinte neurologique de l’enfant. Sidération, déception vis-à-vis de soi, de l’autre, des autres, angoisse, questions sans réponse, pronostic sans certitude pour l’avenir, épreuve pour l’équilibre d’un couple et de la famille, rendez-vous médicaux sans fin… Chamboulement complet… l’enfant est là. Chaque parent réagit et accueille son enfant avec ce qu’il est et comme il le peut. Une maman, mère de 2 filles atteintes de la même maladie du système neurologique, a refusé l’amniocentèse proposée lors de sa 3ème grossesse. « Même si ma 3ème fille est atteinte, je la garde donc cela ne sert à rien ! » a-t-elle dit. Je suis restée en silence devant cette femme. Sa petite fille est elle aussi atteinte, et plus gravement que ses ainées. Dans le regard de sa mère, elle est belle et pleine de vie. Magnifique témoignage d’amour ! Il y a aussi cette maman, mère de jumeaux nés très grands prématurés, l’un d’eux avec un diagnostic de handicap très lourd. Son choix a été de ne pas poursuivre les soins car, m’a-t-elle expliquée « je n’allais pas laisser un enfant handicapé bousiller notre vie! ». Là aussi, je suis restée en silence. Je ne peux oser porter de jugement, je ne peux qu’accueillir dans le silence d’un cœur bienveillant et compatissant.

 

Joie et souffrance, patience et déception, interrogations pour l’avenir et joie du moment présent se mêlent et s’entremêlent au CAMSP. C’est un lieu où je suis plongée au cœur de la fragilité de l’humanité : le différent. Le différent au-delà de l’origine, de la langue, de l’histoire ou des capacités. Ce différent lié au handicap ou aux séquelles de la très grande prématurité bouscule les désirs d’efficacité, de beauté, de performance, de ‘normalité’. Il dévoile l’essentiel de la dignité de la vie humaine : aimer et être aimé au cœur de nos fragilités et de nos potentialités si petites soient-elles aux yeux de l’homme. Quel beau lieu où la vie se dit, où la vie se lit, où la vie se vit!

 

 

 

Nouveau lieu de mission … et nouveau lieu d’habitation. Depuis le mois de septembre, Je suis revenue  à Pantin. Les déménagements maintiennent la capacité de se détacher et de s’ouvrir au re-nouveau ! Voici ma ‘nouvelle’ adresse ou plutôt mon ‘adresse actuelle’ : 5 cité des Foyers 93500 Pantin. La maison est ouverte !!!

 

 

 

Avec ces quelques lignes, je vous souhaite une belle année 2017 remplie de petits cadeaux précieux qui se découvriront jour après jour !!

 

 

 

Catherine

 

Témoignage de Catherine sur sa vocation sur KTO