Un petit livre de poche…
Je l’ai d’abord aperçu sur la table d’un homme en fin de vie à l’hôpital du pays d’Autan. Un petit livre porteur de confiance quand les forces s’en vont, quand les proches n’osent plus vous dire la vérité… Ce petit livre vient d’être écrit par Sœur Marie Philomène Diouf, une religieuse des Sœurs de l’Immaculée Conception de Castres. On lui a demandé de mettre à la portée de tous ce qui habitait le cœur de Sainte Emilie de Villeneuve, la fondatrice de cette famille religieuse. On sait qu’elle a été canonisée le 17 mai 2015. Venue du Sénégal, Sœur Diouf présente non de l’extraordinaire, mais en 15 brefs chapitres, elle éclaire la richesse des « petites choses ». Celles-ci sont de chaque jour, mais habillées avec foi de respect et de tendresse, tout au long d’une vie. Elles nous parlent non seulement de Sainte Emilie, mais de petites choses qui emplissent nos propres journées. Des paroles, des écrits de la sainte nous renvoient finalement à notre vie personnelle.
J’essaie trois ouvertures en la citant ; j’ajoute tel ou tel vécu de son
histoire.
DIEU SEUL
« Je suis très frappée de la
pensée que Dieu est tout et la créature rien et cela me porte à ne chercher que Dieu seul, à n’agir que pour Lui et à éviter avec soin de chercher à plaire aux créatures (…), à ne mettre qu’en
Dieu ma confiance : Rappelez-vous que Dieu est tout et le reste rien. Par conséquent, vivez (de manière à ce que) Dieu seul règne dans votre cœur… Travaillez à bien comprendre, et à graver
profondément dans vos cœurs ces deux mots : « Dieu Seul », dont vous faites votre devise… le grand moyen de parvenir à la possession du saint amour, c’est de vous détacher de tout ce qui n’est
pas Dieu… »
Pour Dieu elle quitte le confort du château d’Hauterive et y laisse seul
son vieux père… On lui propose un service auprès des hommes détenus à la prison de Castres. Si Dieu le veut… Passe le père Bessieux. Il faisait partie du premier groupe de missionnaires partis
vers l’Afrique Noire. Six sur sept de ces missionnaires sont morts des fièvres au bout de quelques mois. Peut-on y risquer des religieuses ? Si Dieu, écouté dans la prière le veut, ce sera « oui
». On sait le développement aujourd’hui de ces « fondations » missionnaires dans trois continents.
L’IMMACULEE
« Je désire placer l’œuvre sous
le vocable de l’Immaculée Conception (…) la Sainte Vierge d’Hauterive le veut ! – Et comment le savez-vous ? – Elle me l’a dit ! Si les sœurs doivent tendrement aimer la Mère de Dieu, si elles
doivent la bénir dans tous ses privilèges, elles auront cependant une particulière dévotion au mystère de son Immaculée Conception, privilège si cher à la Congrégation, qu’elle n’a pas cru
pouvoir choisir un plus glorieux titre, ni un plus heureux patronage ».
Cette décision de placer sa famille religieuse sous le patronage de
Marie Immaculée, intervient avant la proclamation du dogme en 1854, avant Lourdes en 1858. Mais Sainte Emilie était comme « fascinée » par celle qui se présente comme la Servante du Seigneur une
modeste femme d’un petit pays. Disponible aux initiatives de Dieu, le Seigneur a fait pour elle des merveilles. Le regard sur Marie s’élargit, il se pose par exemple sur celles qu’on appelait
alors des « pénitentes » après une vie dans la misère et parfois dans la débauche qu’on lui confie en 1846. Alors son regard traverse l’écorce. Ces femmes sont elles aussi créées par le Père pour
épanouir un jour, si possible, le goût de la vérité, de la justice, de la pureté qui habite tous les cœurs. Nul n’est perdu pour Dieu. Regarder chaque personne comme Dieu la voit c’est croire
qu’elle est appelée à devenir « immaculée ».
LES PAUVRES
Un jour de 1835 après avoir beaucoup prié, elle parle de son projet à
son père, autour de la table de pierre qui est bien conservée dans le parc d’Hauterive : Dieu m’appelle à entrer chez les Filles de la Charité. On sait que dans l’écoute de Dieu, dans l’humilité,
sa route s’orienta autrement, mais toujours au service des pauvres, ce prochain qu’il faut « regarder comme le saint sacrement dans lequel réside Notre Seigneur ». Peu à peu des œuvres multiples
suivirent. Le livre de Sœur Diouf ouvre une autre perspective. Thérèse de l’Enfant Jésus annonçait qu’elle passerait son ciel à faire du bien sur la terre. De son côté Sainte Jeanne Emilie semble
continuer à agir d’abord pour les pauvres. Les deux miracles retenus après de rigoureuses enquêtes semblent le suggérer. En bénéficient des malades dans des milieux défavorisés, des pauvres donc.
Ce fut d’abord à Barcelone la guérison d’une jeune guinéenne (Binta Diaby) alors que les médecins avaient déjà rédigé son certificat de décès. Puis au Brésil la guérison survint pour Emily Maria
de Souza, fillette d’émigrés victime d’électrocution.
En 15 brefs chapitres, ce livre de Sœur Diouf montre comment Dieu peu à
peu a appelé, guidé, et lancé sur les routes du monde cette femme préoccupée de « Dieu seul ».
Lire, méditer ce livre c’est nourrir sa vie spirituelle, c’est aussi s’ouvrir à l’espérance. Abbé Claude CUGNASSE
A cause du caractère particulier de l’ouvrage, nous vous proposons d’adopter une démarche différente du style classique de
présentation des livres ! Comme l’a dit Michelle, nous ne voulons plus garder pour nous seules la richesse de la spiritualité d’Émilie. C’est
notre héritage. Et nous sentons l’appel à le partager avec tous. En tout cas c’était le souhait d’Émilie, lorsqu’elle écrivait dans son Manuscrit préparatoire : « Si plus tard, on jugeait utile d’agréger certaines personnes pieuses à notre ordre, soit en restant dans le monde, soit en
venant passer quelque temps dans le couvent, il sera établi que ce ne sera pas contraire au règlement ».
C’est une ouverture surprenante, à une époque où l’on ne parlait pas encore de laïcs associés… Aujourd’hui à côté des sœurs, est née la branche masculine de la Congrégation : des frères-prêtres bleus vivent déjà au Paraguay et au Gabon. Plusieurs laïcs partagent avec nous des missions communes, chacun puisant à la même source du charisme, dans sa propre condition. Il y a donc un charisme d’Émilie, vécu à partir de diverses modalités. Toute personne peut s’en inspirer quelle que soit son appartenance ou sa fonction, dans sa singularité. Nous sommes des disciples égaux, dans la suite du Christ.
Plus nous lisons les écrits, plus nous nous laissons surprendre par ses intuitions qui font parler d’elle comme d’une
femme prophétique.
Emilie est une femme capable d’amitié. Grâce à Coraly de Gaix, nous avons accès aux confidences d’Émilie. On la découvre comme une personne qui incarne toutes les caractéristiques humaines, avec ses hauts et ses bas, ses préoccupations, ses défauts, des résolutions qu’elle a du mal à tenir... Il y a peut-être un piège sur lequel nous butons parfois et qu’Emilie va s’atteler à éviter : le découragement. La grâce de la sainteté elle l’a obtenue par sa persévérance, même dans les petites choses faites ou vécues avec amour. Il n’y a pas une mission plus noble qu’une autre !
Coraly parle de leurs longues conversations. Quand il a fallu parler à son père de son projet de vie religieuse... quand il a fallu quitter le château (ce beau parc où j’ai médité, ce village où j’ai fait un peu de bien)...
Dans ses lettres Émilie parle aussi de ses conversations aux pieds de Jésus Sauveur. Elle était persuadée que la qualité d’une conversation, une bonne conversation, constitue un facteur essentiel, capable de transformer une vie. Dans de bonnes conversations, on peut se laissait surprendre par l’Esprit qui ouvre toujours de nouveaux horizons...
Émilie a toujours voulu être une femme centrée sur Dieu Seul. Sa devise Dieu seul est une invitation à la radicalité pour ne voir que Dieu, ne chercher et n’aimer que lui, n’envisager que les intérêts de Dieu et sa gloire. Elle se donne comme moyen la contemplation-action. C’est ce qu’on peut appeler chez Emilie : la mystique des yeux ouverts. C’est une contemplation qui ouvre au mystère qui ne sépare pas le sacré et le profane. Contempler Dieu c’est découvrir son action dans ses créatures et sa création. Contempler Dieu, permet de se décentrer de sa propre personne, et parvenir ainsi à mener des actions par amour de Dieu. Pour Émilie, des yeux qui contemplent Dieu s’ouvrent sur l’univers créé, avec la même intensité. Contempler Dieu, c’est Le découvrir dans chaque être, chaque réalité où il se donne à voir : Voir Dieu seul en toutes choses et toutes choses en Dieu Seul. Par voie de conséquence, Émilie voit Dieu dans les pauvres… elle recommande de « regarder le prochain comme le Saint Sacrement ». Contempler, c’est parvenir à emprunter les yeux des Dieu. Dieu vit que c’était beau ! La beauté peut avoir un caractère relatif.
C’est à ce niveau qu’il faut connecter le choix du nom de l’« Immaculée Conception » pour sa famille religieuse.
Contempler Dieu c’est s’engager à poser un regard « immaculé », c’est-à-dire, sans préjugé, sans tâches, propre. Un regard qui rend limpide ce qui est regardé.
Émilie est une femme en quête, toujours dans une attitude de discernement. En amont et en aval de sa vie religieuse, elle
s’interroge : Qu’est-ce que Dieu veut faire par moi ? Le centre, c’est Dieu Seul. Comment est-ce que Dieu peut m’utiliser comme instrument dans sa
mission, dans son dessein d’amour bienveillant pour les peuples ? Le désir d’accomplir la volonté de Dieu témoigne des échos de son humanité dans
la réalisation de l’unité symbiotique entre l’humain et le divin. C’est ce que traduit sa décision : Mon père,
c’est pour Dieu que je vous quitte. Je veux aller servir les pauvres.
La vie d’Émilie et son œuvre sont totalement tendues vers Dieu et vers le prochain. Dans son action missionnaire, elle
maintient un lien intrinsèque entre la consécration à Dieu et le service du frère pour l’avènement du Royaume. Prenons une comparaison : une chose dite belle participe de l’Idée de la beauté, le
particulier du général et l’image du modèle. L’humain participe du divin qui l’ennoblit et lui confère sa dignité. Voilà pourquoi, il est difficile pour Notre Bonne Mère de dresser une cloison
entre Dieu et les pauvres.
Émilie quitte donc le château et se met résolument en chemin emportant dans ses mains la Parole et le Pain pour vivre et faire vivre de la Pâque.
La Parole de Dieu donne la Vie Éternelle. Si nous croyons au Pain de Vie qu’est le Christ livré pour le monde, nous obtiendrons le salut. Donner la Vie, obtenir le salut, c’est ce qui met Émilie en marche. Et c’est là qu’elle met en exergue toute ses qualités de femme. Avec comme bagages la Parole et le Pain, elle traduit par des gestes concrets, l’avant-goût de l’amour présent et éternel de Jésus-Sauveur. Elle veut appartenir aux pauvres et aux membres souffrants de Jésus-Christ, travailler pour la promotion de la vie et pour la dignité des personnes. C’est ce projet de salut et de dignité qu’elle formule dans la sainte prédilection à avoir pour les petits, les faibles et les affligés.
Émilie est une Femme intérieure, d’une profonde expérience d’écoute qui l’a rendue capable d’entendre la voix des pauvres qui appellent. Aucune décision ou action n’était entérinée sans être examinée, discutée, évaluée, jugée dans l’écoute silencieuse de Dieu et
des avis des autres.
Une femme d’émerveillement, pleine de reconnaissance !
Émilie savait prendre le temps « de se regarder », de méditer sur sa personne. Très vite, elle a compris qu’elle
ne méritait pas la faveur d’être associée à de saintes fondatrices ou aux succès que connaissait sa congrégation. Cette prise de conscience de son indigence la pénètre d’amour envers Dieu. Plus
elle se reconnaît faible et indigne, plus elle nourrit des sentiments d’humilité et de confiance renouvelée en Dieu pour ne compter que sur lui : Abandon et Confiance, c’est tout pour moi !
L’abandon à la Divine Providence s’illustre comme un acte de foi, une confiance inébranlable en son Seigneur de qui elle fait tout dépendre. Confiante en Dieu qui lui indique la direction à suivre, elle consent à nouer son destin à celui des pauvres.
Aujourd’hui, imprégnés du charisme d’Emilie, nous sommes appelées à nous armer de son esprit pour transcender l’influence
des mouvements politiques, les courants socioculturels, les injustices, la destruction de notre planète pour des intérêts personnels.
Par sa vie et son œuvre, Émilie se révèle comme l’exemple de l’engagement qui va jusqu’au bout de sa logique. En donnant sa
vie pour la fin de l’épidémie de choléra, elle a montré une cohérence entre son moi intime et son moi social. Les miracles obtenus par son intercession, autant pour sa béatification que pour sa
canonisation confirme son option préférentielle pour les plus vulnérables. C’est le reflet de l’unité de sa vie toute livrée aux desseins d’amour
bienveillant de Dieu sur les peuples.
La vie toute simple d’Émilie est donc un signe vivant de ce que nous sommes appelés à être : des saints et des saintes. Elle nous redit aujourd’hui, n’ayez pas peur d’être des saints et des saintes, car vous avez reçu l’Esprit de Dieu. Elle nous invite, comme elle, non pas à chercher de l’extraordinaire, mais à suivre la voie de la sainteté au quotidien : mettre Dieu au centre de notre vie et nous laisser guider par son Amour miséricordieux.
Je termine en reprenant la conclusion de
l’ouvrage :
Répondrons-nous à l’invitation d’Émilie dès aujourd’hui ? Si oui, mettons-nous en chemin vers la sainteté, soutenus par l’intercession d’Émilie et encouragés par son expérience. Elle nous porte dans sa prière et nous illumine désormais par la lumière qu’elle porte au cœur. De sa béatitude éternelle, écoutons-la nous redire : Courage, avec le secours de la grâce, vous deviendrez des saints. Je ne vous oublie pas, surtout auprès de Jésus.
« Prier 15 jours avec Sainte Jeanne Émilie de Villeneuve »
Cet ouvrage est le fruit de l’éclosion d’un esprit d’une fille d’Émilie de Villeneuve qui s’est abreuvée à la Source. Il est heureux que l’auteure ait décidé de publier un tel écrit, produit d’une méditation profonde et d’une recherche menée avec talent.
Sœur Marie Philomène DIOUF est sénégalaise, membre de la congrégation des sœurs bleues de Castres. Après l’obtention du baccalauréat canonique de philosophie au Centre saint Augustin de Dakar, elle a entrepris le cycle de théologie à l’université grégorienne de Rome, puis au Centre Sèvres de Paris. Titulaire d’un doctorat en Bible, elle est actuellement en mission à Castres.
Le manuel de 128 pages, qu’elle nous présente ce soir, a été publié à Paris, aux Éditions Nouvelle Cité.
Notre Sœur confie que l’objectif de l’ouvrage, c’est de faire connaître la voie empruntée par Émilie et proposer sa spiritualité à quiconque veut s’en inspirer pour s’engager sur le chemin de la sainteté. Nous sommes tous appelés à être Saints. La vie d’Émilie montre que c’est possible. Elle s’acquière progressivement, par la fidélité aux petites choses.
La trame de l’ouvrage se réfère aux grands axes de la spiritualité et du charisme de la Congrégation fondée par Émilie. Pour mieux se l’approprier, il est important de tenir compte d’un double plan de réception :
Premièrement, celle du siècle d’Émilie de Villeneuve à la croisée de la révolution industrielle avec des transformations profondes au sein de la société. Notons particulièrement l’apparition d’inégalités sociales et des nouvelles valeurs de la chrétienté.
Deuxièmement, la réception actuelle de ces écrits vient répondre à la quête de sens qui nous interpelle tous. Plusieurs
personnes tentent de les interpréter en les actualisant pour permettre une plus grande familiarité avec la spiritualité d’Émilie. Marie Philomène nous y engage pas à pas pour un parcours de 15
jours de prière. Nous lui laissons la parole.