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Parole de la croix ... Paul : 1co 1, 18-25

Le passage 1 Co 1, 18-25 offre 4 points de réflexion.

Le premier définit la Parole de la croix comme folie pour ceux qui se perdent, mais puissance de Dieu pour ceux qui se sauvent.

Le second point cimente cette définition, l’appuyant sur la citation d’Isaïe 29,14 : « Je détruirai la sagesse des sages et j’annulerai l’intelligence des intelligents »

Le troisième point s’adresse à l’ensemble des experts avec les interrogations : Où est le sage ? Où est le docteur de la loi ? Où est le subtile raisonneur de ce monde ? Dieu n’a-t-il pas démontré stupide la sagesse du monde ?

Dans le quatrième point, sans attendre une réponse à ses interrogations, Paul expose les faits :

- Le monde n’a pas connu Dieu – Dieu s’est fait connaître en sauvant les croyants par la folie de la prédication.

- Les Juifs demandent des signes et les Grecs sont en quête de sagesse – nous, nous annonçons le Christ crucifié.

Puis il conclut : Ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.

De l’argumentation de l’Apôtre émerge un parallélisme antithétique qui oppose :

-        ceux qui se perdent … à ceux qui se sauvent

-        le jugement de la folie ... à celui de la puissance de Dieu (1, 18)

-        la sagesse du monde ... à celle de Dieu ou encore à la folie de la prédication (1, 21)

-        les Juifs qui demandent des signes et les grecs en quête de la sagesse ... à ceux qui ont été appelés ; de sorte que le Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les Païens est puissance et sagesse de Dieu pour les croyants (1, 22-24).

C’est de ce raisonnement en thèse-antithèse qu’a son origine la formulation du titre de notre thèse qui est : la Parole de la croix, défi pour la raison humaine et révélation de Dieu.

Quel est le contexte qui pousse Paul à prononcer ce discours ?

Imaginons-nous être à Corinthe, dans cette communauté fondée et évangélisée par l’Apôtre. Peu après son départ, d’autres missionnaires lui ont succédé annonçant eux aussi Jésus-Christ, certes, mais d’une manière bien diverse. De fait leur annonce a été plutôt une démonstration fondée sur l’élégance de la rhétorique. Ce faisant ils ont provoqué des divisions partisanes dans la communauté. Et c’est justement dans ce contexte que Paul rappelle les Corinthiens à l’essentiel de son message : Le Christ m’a envoyé pour annoncer l’Evangile, et sans recourir à la sagesse du discours, pour ne pas réduire à néant la croix du Christ.

Jésus crucifié est le protagoniste de son Evangile, le centre, le noyau de sa prédication apostolique. Sa mort et sa résurrection sont le point de départ pour affronter diverses questions théologiques ; elles sont le support stratégique sur lequel s’appuie la problématique qui lie et soude sa pensée, d’une manière constante. Dans la confession de la mort-résurrection du Christ, Paul reprend le riche héritage de la tradition kérygmatique qui met en relief l’événement eschatologique du salut. Voilà pourquoi, dans le domaine de la théologie, la croix a toujours été l’objet d’une investigation fascinante.

En effet, beaucoup de chercheurs ont défini la “teologia crucis” comme la structure ou le centre autour duquel gravite toute la théologie paulinienne, ou encore le début et le fondement d’une authentique théologie chrétienne, parce que celle-ci est le terrain exclusif du salut. Pour d’autres théologiens, la théologie de la croix est l’événement à partir duquel toute réalité doit être interprétée.

Après ces considérations, il fallait affronter la principale difficulté de notre recherche. Quelle originalité de notre étude rend compte de la ré-interprétation paulinienne sur la Parole de la croix ?

Tout au long des cinq chapitres de notre étude nous avons pensé la Parole de la croix avec l’image d’une traverse, c’est-à-dire la poutre placée transversalement dans une structure afin de relier, de soutenir, ou encore de renforcer. Le point de départ a été la texture du passage choisi, pour en recueillir, progressivement, les implications théologiques et exégétiques. A ce niveau, il fallait mettre en pratique un de nos proverbes : quand tu ne sais plus où tu vas, retourne d’où tu viens... Tout partait du passage choisi et y revenait. Considérant la dispositio et les figures de style et de pensée, nous avons examiné chaque mot. Nous nous sommes efforcés de demeurer sous l’éclairage du passage, l’écoutant et le laissant agir comme maître, faisant ressortir les corrélations possibles entre les versets, pesant avec attention les frictions, les ruptures ou les discontinuités qui échappent souvent à une articulation dialectique implicite dans le but de donner du poids à la manière avec laquelle le passage s’articule et se dissémine.

La propositio (1,18) a donné l’envoi au discours. La Parole de la croix est la “colonne vertébrale” qui soutient et dans laquelle est contenu le projet argumentatif de Paul ainsi que les amplifications qui en ressortent. Celle-ci se révèle folie pour les uns alors que pour les autres elle est puissance de Dieu. En conséquence elle est chemin de perdition pour les premiers et voie de salut pour les seconds.

Pour quelle raison l’Apôtre a-t-il pu accoler deux termes aussi inconciliables que : “folie” et “puissance de Dieu” ? Cette contradiction surprenante représente un paradoxe extrême car elle ne correspond nullement aux classifications conventionnelles de la linguistique. Elle va outre le cadre des normes de la sémantique, arrivant presqu’au point d’en faire la condition de laquelle surgit la vérité de Dieu. La dialectique de l’opposition entre folie et puissance de Dieu actualise le drame du refus des voies de Dieu par le monde ; juger comme folie la manière faible par laquelle Dieu a voulu revêtir définitivement sa puissance est une manière de s’auto-exclure ou de s’auto-éliminer du bénéfice du salut. La folie est la cristallisation définitive de la faillibilité du cosmos, l’écho qui résonne du monde, le masque de toute forme d’orgueil face à la Parole de la croix. Et en même temps, pour Paul, la folie est le symbole du bouleversement réalisé par la prédication, ou plutôt l’expression des œuvres divines qui, dans le paradoxe du Crucifié, assume définitivement sa puissance la plus noble. Donc, la folie, en concentrant deux réalités, joue un rôle décisif dans la progression de l’argumentation.

Quelles raisons poussent Paul à aller puiser dans la prophétie d’Isaïe (1,19-20) ?

La citation de la Sainte Ecriture n’est pas seulement l’occasion de donner un simple fondement à son raisonnement. Elle lui a donné la possibilité d’élargir et d’approfondir sa pensée, l’appuyant sur la manière d’agir de Dieu. Paul applique à Dieu, le paradoxe du Crucifié de telle sorte que la critique et la destruction de la sagesse des sages noue le lien entre les discours sur la Parole de la croix” et “l’initiative divine”. La citation explicite aussi le jugement de condamnation de la sagesse du monde, à la lumière du verdict établi par la Parole de la croix. Elle sert de témoin dans la prospective de ce qui est advenu dans le Christ, l’accomplissement des promesses divines.

Dans les faits qui manifestent la preuve de l’incompréhension de la procédure divine, l’essentiel se joue dans la problématique de la connaissance. La connaissance de Dieu dans son rôle d’arbitre entre ceux qui se perdent et ceux qui sont en train d’être sauvés témoigne de la créativité divine. La Parole de la croix, en interpellant la raison, vient démasquer la vanité et la fragilité du monde et de sa sagesse. Elle est à l’origine de la crise des certitudes et des valeurs du monde dans le fait que celles-ci ne donnent pas une réponse appropriée dans la manière d’agir de Dieu. Chaque raison humaine qui prétend être la mesure du divin ou qui cherche à comprendre la vérité de Dieu en continuité avec la logique du monde, arrive au refus de ce qui dépasse les propres possibilités. La supériorité des prospectives divines, notables dans l’événement de la Croix, ne peuvent pas être assujetties aux raisonnements des hommes ni les dominer, parce que le vrai Dieu ne peut se soumettre aux calculs d’une sagesse provisoire. Il s’agit donc de se laisser instruire par un Dieu imprévisible, qui entreprend un chemin absolument nouveau ; un Dieu qui prend l’initiative d’engager un discours sur lui-même, un Dieu qui s’identifie comme le Sujet de Sa Parole de la croix. L’effet de la croix réside dans la discontinuité instaurée entre Dieu et le monde et qui atteint son sommet dans le fondement théologique qui conclut la thèse.

“Ce qui est folie et faiblesse de Dieu est plus sage et plus fort que les hommes” (1, 25).

La manifestation de Dieu dans le Crucifié, inclut également une anthropologie fondamentale. La réalisation de l’homme n’est pas le produit exclusif de l’œuvre divine. Elle requiert une réponse de la liberté.

Quels fruits théologiques et exégétiques recueillir de nos recherches ?

Tout se joue et s’entrelace autour de l’expression : Parole de la croix. C’est elle qui constitue le principe unificateur duquel se déploie l’originalité et la cohésion de la théologie paulinienne, la clé de lecture pour comprendre l’événement christique et la réalité vécue. La Parole de la croix, et sa logique fondamentalement paradoxale, représente la mesure de toute expression divine, la source d’inspiration de chaque discours concernant la théologie.

L’expression symbolique “Parole de la croix” est une synthèse de la mort-résurrection du Christ. Entre l’énoncé – Parole de la croix – et son explicitation comme puissance et sagesse de Dieu, l’Apôtre fait la jonction entre la réalité historique (crucifixion) et la réalité eschatologique (salut). La coïncidence entre thèse et antithèse, rend unicum la mort cruelle sur la croix et l’acte définitif de salut de Dieu.

- Le concept folie permet d’évaluer et de dissocier ce qu’il y a de profondément divin de ce qu’il y a de plus humain, sans jamais renier la valeur humaine. En elle se trouve le nœud du paradoxe dans lequel se cache le renversement des valeurs mondaines. Dans cet acte suprême du don divin, la puissance a voulu rejoindre le point culminant de sa manifestation.

- La proclamation du Crucifié, puissance et sagesse de Dieu, donne à la croix la qualification d’événement de salut eschatologique. Il introduit le “déjà” et le “pas encore”, autrement dit le salut accompli, mais qui arrivera à sa plénitude.

- De l’opposition entre la connaissance de Dieu au moyen du cosmos et la connaissance révélée par Dieu lui-même, ce qui est scandale ou folie constitue la manifestation singulière de l’acte divin qui, justement, parce qu’il ne peut être réduit à la logique humaine, dit une vérité dont la compréhension n’est possible que par le don de la foi.

- La Parole de la croix est la concrétisation du projet sotériologique, voulu par Dieu. Dans son impuissance et sa faiblesse, le Crucifié a opéré le salut universel. Celui-ci focalise l’activité divine comme manifestation irrévocable de son visage. Le Christ crucifié incarne et révèle le caractère inédit de la logique divine.

- L’Apôtre nous a transmis un argument théo-christologique. La parole de la croix parle bien sûr du Christ. Mais la mort du Christ est une affirmation de la vérité de Dieu sur Dieu. Le Crucifié reconduit à Dieu, tel qu’Il est et comme, par libre décision, il a voulu être connu. Il permet de redécouvrir un Dieu qui donne à l’aventure humaine son sens ultime, en l’arrachant des pièges de l’incrédulité. C’est pourquoi la proclamation du plan divin est le centre de l’argumentation paulinienne dont la modalité a trouvé, dans le Christ, son accomplissement.

- Le Christ est l’itinéraire définitif qui a ouvert l’accès à la communion avec Dieu, à l’autorévélation de son projet qui exige la libre adhésion de foi de l’homme. En cela la Parole de la croix redéfinit l’identité du croyant comme dérivant de l’acte christologique.

Mais un de nos proverbes dit encore : L‘arbre ne peut porter à maturité tous les fruits qu’il a fait germer... Nous avons essayé de démontrer comment et en quoi la Parole de la croix constitue la « colonne vertébrale » sur laquelle s’articule la pensée théologique de Paul. Mais notre étude ne peut épuiser la signification et la valeur de la Parole de la croix. L’étude faite reste toujours ouverte à l’horizon d’une recherche de sens ; une recherche qui peut être déstabilisante étant donné qu’elle n’est jamais entièrement exhaustive et incite à un continuel approfondissement. Il n’est donc pas possible de réduire la Parole de la croix à un signifié, d’où l’exigence de maintenir notre compréhension toujours ouverte.

La redécouverte de Dieu ouvre à une meilleure compréhension de l’existence humaine et implique de se laisser ‘convertir’ au renversement opéré par Dieu dans sa manière d’agir. Le Crucifié, récapitulant en lui l’histoire de l’Humanité, transforme le lieu de la malédiction en un événement de la révélation de Dieu. Dieu s’est révélé en ce qu’il est et ce qu’il a fait dans le Christ et le Christ crucifié. C’est la logique de l’excès, la logique de Dieu qui bouscule et renverse toute cohérence humaine : la parole de la croix, défi pour la raison humaine et révélation de Dieu.

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